Presentation

 

 

9 avril 2017 7 09 /04 /avril /2017 15:12
Danse macabre

 

La Danse macabre n'est pas seulement la pièce musicale de Saint-Saëns que tout le monde connait.

Elle est aussi l'élément le plus achevé, de l'art macabre du Moyen Âge, du XIVe au XVIe siècle, un genre très en vogue, dans le théâtre, la poésie, la musique et les arts plastiques.
Il s'agit d'une représentation particulière de la mort.


Elle joue le même rôle que ses soeurs, les Vanités: Une vanité est une représentation allégorique de la mort, du passage du temps, de la vacuité des passions et activités humaines.
Les objets représentés symbolisent les activités humaines, étude, argent, plaisir, richesse, puissance, mises en regard d'éléments évoquant le temps qui passe trop vite, la fragilité, la destruction, et le triomphe de la mort avec souvent un crâne humain.


La signification de ces Vanités, comme celui de la Danse macabre est de montrer une réflexion sur la vie et la mort.
L’idée sous-jacente et très explicite dans la plupart des représentations reste que tout le monde meurt, riche ou pauvre, dépravé ou vertueux, bigote ou folle…

 

Danse macabre à La Chaise Dieu, panneau 1

Danse macabre à La Chaise Dieu, panneau 1

L'étymologie de la danse macabre fourmille d'hypothèses, la plupart, inacceptables. On est allé jusqu’à le faire dériver de l’arabe magabir, qui voudrait dire tombeau. Une seule étymologie paraissant raisonnable est une dérivation de la forme populaire du nom des Macchabées. La danse macabre s’appelait en latin Macchabæorum chorea.
La danse macabre est donc liée par des fils mystérieux au souvenir des Macchabées.
L’expression « danse macabre » remonte au XIVe siècle. Au XVe siècle on n’en savait déjà plus le sens.

Danse macabre à La Chaise Dieu, panneau 2

Danse macabre à La Chaise Dieu, panneau 2

À la fin du XVème siècle, deux éditeurs parisiens, Guyot Marchant et Vérard, publient des gravures représentant la première Danse macabre, qui serait apparue à Paris en 1424 sur les murs d'un des charniers du cimetière des innocents.
La Danse macabre est composée d'une vingtaine de personnages accompagnés chacun de son propre mort, selon un défilé, une suite, une procession vers la mort, qui commence par les plus influents et se termine par les plus humbles.

 

Danse macabre à La Chaise Dieu, panneau 3

Danse macabre à La Chaise Dieu, panneau 3

Le Moyen Âge est une période particulièrement mouvementée de l’Histoire et le 14ème siècle a été très riche en événements tragiques : les guerres, les famines et la peste ravagent la France des Flandres aux Pyrénées.
Des événements graves qui décimèrent une part importante de la population, ont contribué à une prise de conscience sur un sujet jusqu’à lors négligé, celui de la mort.
C’est la naissance des « Danses macabres ».
La Mort commence donc à inspirer les artistes aux environs de 1400.

Le XVe siècle, marqué par la Guerre de cent ans (1337-1453), garde en mémoire le souvenir terrible des ravages de la grande Peste de 1348 qui décima près d'un tiers de la population de l'Europe. Des bateaux venus de la mer Noire accostaient à Messine (Sicile) chargés de mourants et de morts. En quelques semaines, la maladie atteignit Marseille et Avignon et quelques mois plus tard la région parisienne, Lyon, Bordeaux, le sud de l'Angleterre et la Suisse. En deux ans, toute l'Europe du nord est touchée. On estime cette épidémie à 25 millions de morts. La population survivante est au comble du désespoir et de la détresse, dans un état physique et psychologique très affaibli. Chacun s'enfuit en emportant le mal avec soi. Chacun côtoie non seulement la mort mais les morts, car personne n'a plus ni le courage ni la force de les enterrer. Chacun se demande alors quels péchés ont bien pu être commis pour s'attirer ainsi la colère et le châtiment divins.
 

Detail de la danse macabre de l'eglise Saint-Germain de La Ferte-Loupiere dans l'Yonne

De plus, l'état de guerre et de brigandage engendre la disette sur des zones très étendues.
La famine s'installe sur des zones devenues désertiques car l'argent manque pour acheter des denrées, les transports de marchandises deviennent rares et les conditions climatiques défavorables aggravent la situation.

La mortalité infantile reste toujours très élevée, l'espérance de vie est étroite et on meurt d'un simple refroidissement ou d'une indigestion.
Ces temps de grands désordres, le peuple les accepte avec beaucoup de difficultés, d'autant que les plus riches se noient dans un excès de luxe, de faste et de plaisir.
La sensibilité de chacun s'en trouve alors exacerbée.
Ecrivains, peintres, sculpteurs et musiciens sont nombreux à exprimer cette idée qui obsède tous les esprits : la mort est partout.


Gravure sur bois de la Danse macabre du cloître des Saints-Innocents à Paris.
Publiées en 1485 par deux éditeurs parisiens, Guyot Marchant et Verard, elles furent diffusées dans toute l’Europe.

Les danses macabres sont nées dans ce contexte de misère et de désespoir absolus, témoignages d'une prise de conscience et d'une réflexion sur la vie et la mort, devenue omniprésente et traumatisante.
La sarabande mêle les morts et les vivants, elle est peinte sur les murs des églises et des cimetières.
Elle ne tient pas compte des distinctions sociales : on y trouve aussi bien le pape ou l'empereur, le soldat ou le religieux, le savant ou l'enfant.
Tous connaîtront la même mort avec sa pourriture, ses vers, sa destruction physique.
Leur destin est sans espoir et la croyance en Dieu et en la vie éternelle y sont totalement occultées.

Par cette sarabande qui mêle morts et vivants, la Danse macabre souligne la vanité des distinctions sociales, dont se moquait le destin, fauchant le pape comme le pauvre prêtre, l'empereur comme le lansquenet.
 

Danse macabre de Clusone (Italie), Peinture de Giacomo Borlone de Buschis

La Danse macabre en peinture trouve son origine dans certains textes du Moyen Age qui traitent, de façon moralisatrice, du mépris des choses matérielles, de la dureté et du réalisme de la mort.
On peut citer, parmi ces œuvres littéraires, le Dit des trois morts et des trois vifs au 13ème siècle, légende dont des extraits sont souvent repris en accompagnement des peintures, le Triomphe de la Mort, l'Ars moriendi, le Mors de la Pomme, les Vanités et les Memento mori.

Généralement, les danses macabres sont peintes sur les murs extérieurs des cloîtres, des charniers, des ossuaires ou à l'intérieur de certaines églises.
Sur ces fresques, un cadavre décharné ou un squelette est couplé avec un représentant d'une certaine classe sociale.
La danse macabre prend le plus souvent la forme d'une farandole.
En-dessous ou au-dessus de l'illustration sont peints des vers par lesquels s'adresse la Mort à sa victime, souvent d'un ton menaçant et accusateur, parfois sarcastique et empreint de cynisme.
Puis suit la supplique de l'Homme, plein de remords et de désespoir, mendiant la pitié.
Mais la Mort entraîne tout le monde dans la danse: de l'ensemble de l'hiérarchie cléricale comme le pape, les cardinaux, évêques, abbés, chanoines, prêtres, en passant par les représentants du monde laïque, les empereurs, rois, ducs, comtes, chevaliers, médecins, marchands, usuriers, voleurs, paysans et jusqu'à l'enfant innocent.
La Mort ne regarde ni le rang, ni les richesses, ni le sexe, ni l'âge de ceux qu'elle fait entrer dans sa danse.
Elle est souvent représentée avec un instrument de musique.
Cette caractéristique appartient au riche répertoire de la symbolique de la Mort et apparaît dès les débuts de la danse macabre.
L'instrument évoque le côté séducteur, attirant, un peu diabolique du pouvoir d'enchantement de la musique.

 

 

Baudelaire et Cazalis ont écrit sur la danse macabre, Liszt et Saint-Saëns l'ont mise en musique.

 

Danse macabre

Henri Cazalis

 


 

 

 

Danse Macabre

 

Au visage de mon squelette
Voici le loup de velours noir,
Le loup où votre lèvre, un soir.
Mit des parfums de violette.

 

Par cette antithèse toujours
Je veux me rappeler, madame,
Le vide aimable de votre âme
Et la vanité des amours.

 

Oh ! je ne me plains pas : la chose
Est trop connue en vérité ;
Mais j’ai quelque peu regretté
Votre jeune corps, blanc & rose.

 

— Que pleure-t-on là cependant ?
Cette chair, qui fait notre envie.

N’est après tout, comme la vie,
Qu’une loque sur du néant !

 

Et je veux mon âme ainsi faite
Qu’un jour enfin sous tous ces corps
Je ne sache voir que des morts,
Des os en costumes de fête.

 

Pour alors, dans un coin du bal,
Me tenir seul, &, las de vivre,
Laisser passer cette foule ivre,
Et ces gaîtés de carnaval !



 

 

 

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Danse macabre

Charles BAUDELAIRE
 

 

Recueil : Les fleurs du mal

Danse macabre

 

A Ernest Christophe

 

Fière, autant qu'un vivant, de sa noble stature,
Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants,
Elle a la nonchalance et la désinvolture
D'une coquette maigre aux airs extravagants.

 

Vit-on jamais au bal une taille plus mince ?
Sa robe exagérée, en sa royale ampleur,
S'écroule abondamment sur un pied sec que pince
Un soulier pomponné, joli comme une fleur.

 

La ruche qui se joue au bord des clavicules,
Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,
Défend pudiquement des lazzi ridicules
Les funèbres appas qu'elle tient à cacher.

 

Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.

Ô charme d'un néant follement attifé.

 

Aucuns t'appelleront une caricature,
Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair,
L'élégance sans nom de l'humaine armature.
Tu réponds, grand squelette, à mon goût le plus cher !

 

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?

 

Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l'enfer allumé dans ton coeur ?

 

Inépuisable puits de sottise et de fautes !
De l'antique douleur éternel alambic !
A travers le treillis recourbé de tes côtes
Je vois, errant encor, l'insatiable aspic.

 

Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie
Ne trouve pas un prix digne de ses efforts ;
Qui, de ces coeurs mortels, entend la raillerie ?
Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts !

 

Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pensées,
Exhale le vertige, et les danseurs prudents
Ne contempleront pas sans d'amères nausées
Le sourire éternel de tes trente-deux dents.

 

Pourtant, qui n'a serré dans ses bras un squelette,
Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau ?
Qu'importe le parfum, l'habit ou la toilette ?
Qui fait le dégoûté montre qu'il se croit beau.

 

Bayadère sans nez, irrésistible gouge,
Dis donc à ces danseurs qui font les offusqués :
" Fiers mignons, malgré l'art des poudres et du rouge,

Vous sentez tous la mort ! Ô squelettes musqués,

 

Antinoüs flétris, dandys, à face glabre,
Cadavres vernissés, lovelaces chenus,
Le branle universel de la danse macabre
Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus !

 

Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange,
Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir
Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange
Sinistrement béante ainsi qu'un tromblon noir.

 

En tout climat, sous tout soleil, la Mort t'admire
En tes contorsions, risible Humanité,
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,
Mêle son ironie à ton insanité ! "

 

 

 

 

Danse macabre