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9 mars 2017 4 09 /03 /mars /2017 19:11
L'école d'Athènes - les disciples de Socrate - fresque de Raphaël

L'école d'Athènes - les disciples de Socrate - fresque de Raphaël

Socrate
470-399 av. J.-C.

 

 

Socrate

Socrate est l'un des plus grands penseurs et philosophes de l'Antiquité.

II consacra son oeuvre, mais aussi sa vie à la philosophie éthique et à la quête du bien moral, de la vertu et de la justice.
II employait principalement la dialectique, grâce à laquelle il essayait de faire prendre conscience aux hommes de leur Ignorance et de les aider à se connaître.
Sa contribution à la philosophie fut énorme. Avec Socrate ce ne sont pas les corps célestes, la terre et les nuées qui ont de l'importance, mais l'univers de l'esprit humain.

 

Socrate

SA VIE

Socrate naquit à Athènes. Il était le fils de l'artisan sculpteur Sophroniscos et de la sage-femme Phènarète.
 

II exerça lui-même le métier de statuaire, probablement jusqu'à 40 ans, âge auquel il l'abandonna pour se consacrer à la philosophie.
II parvint vite à réunir les jeunes de l'époque autour de lui et il consacra toute sa vie à dialoguer avec eux.

 

Il est presque certain que dès qu'il commença à dialoguer avec les jeunes il négligea son foyer.
C'est en tout cas ce qui ressort des observations railleuse d'Aristophane, qui constituent l'une des sources historiques concernant Socrate.
La formation intellectuelle et l'éducation de Socrate sont assez mal connues. Il convient cependant de noter que durant son enfance, il fut éduqué comme les enfants de son époque et c'est par lui-même que plus tard il vint parfaire cette éducation.

 

Sa curiosité naturelle l'avait amené à s'intéresser aux divers courants intellectuels de l'époque et donc à assister à des tragédies et à des comédies anciennes, ainsi qu'à d'autres manifestations artistiques, et enfin à tout mouvement concernant la philosophie ou la rhétorique.
 

 

 


 

Il se tourna ensuite vers la philosophie et lorsqu'il devint un homme mur il avait alors acquis la réputation de philosophe.
Il était marié à Xanthippe, dont il avait eu trois enfants. Il vivait dans la simplicité.

 

Il semble qu'il ait eu quelques revenus infimes pour subvenir aux besoins de sa famille.
On considère comme presque certain que son riche ami Criton lui venait en aide sur le plan économique.

 

Socrate ne se mêla pas de politique. II était un citoyen discipliné, honnête et juste.
Il enseignait le respect des lois et montrait lui-même l'exemple, en s'acquittant avec ardeur de ses devoirs de citoyen athénien.

 

Parmi les événements célèbres de sa vle on distingue sa participation, durant la guerre du Péloponnèse, à la campagne de Potidée et aux batailles de Délios et d'Amphipolis.
Durant le siège de Potidée, il sauva la vie d'Alcibiade, comme le confirme d'ailleurs ce dernier dans le « Banquet » de Platon, où il rend hommage à la bravoure et à la ténacité de Socrate.

 

Socrate ne quitta jamais Athènes.
Bien que Socrate n'ait pas eu l'âme d'un politicien, il n'en était pas moins une personnalité très célèbre au sein de la ville d'Athènes.

 

Il s'agissait en effet d'un personnage exceptionnel, mystérieux et étrange.
D'aspect extérieur il ne possait rien de la beauté grecque. II était laid, avait les yeux globuleux, son nez était court et gros, avec de grandes narines, ses lèvres étaient épaisses, il était chauve et avait un gros ventre.
Mais sur le plan intellectuel c'était un homme exceptionnel, qui se distinguait par sa finesse, son intelligence, son honnêteté, sa pondération et enfin par la tranquillité et l'harmonie qui se dégageaient de son monde intérieur.

 

Platon disait de lui qu'il etait « le plus parfait, le plus sage et le plus juste des Grecs. »
 

Il attirait la sympathie de certains, mais la plupart ne l'aimaient pas car ils voyaient en lui principalement un sophiste.
Dans le « Banquet » Alcibiade dit de lui qu'il était laid et ressemblait à un Sélène, mais qu'au niveau interieur, il était beau et doté de nombreuses vertus telles que la sagesse.

 

Socrate

 SON ENSEIGNEMENT

Socrate et ses disciples


Socrate se consacra à la quête de la philosophie morale ou encore à celle du bien moral, de la vertu et de la justice.
 

Il était convaincu que la principale mission de sa vie était de contribuer à élever le niveau moral et spirituel de la jeunesse (qu'il côtoyait principalement) mais aussi de ses concitoyens.
Il souhaitait également faire prendre conscience aux hommes de leur ignorance et les aider à se connaître.

 

La conscience de cette mission grandissait en lui, plus il voyait la morale de la cité athénienne s'ébranler, en dépit de la splendeur externe qu'elle présentait durant l'époque de l'âge d'or de Périclès.
 

Il essayait donc, grâce à son enseignement, de convaincre ses concitoyens athéniens que le principal but de l'homme consiste à rechercher la vérité et contrôle de soi-même.
 

Il voulait également    les persuader que le bien suprême consiste à cultiver autant que possible son esprit et à être en quête de sagesse morale.
La philosophie de Socrate était centrée sur l'homme. C'est ce à quoi Cicéron fait référence lorsqu'il indique que Socrate prit sa philosophie du ciel et se tourna vers l'homme, son esprit et sa nature particulière.

 

Il influença en cela tous les philosophes ultérieurs.
 

Le centre de gravité n'était plus la terre, les nuées et les corps célestes. Le point central était désormais l'univers qui habitait l'esprit de l'homme.
 

Socrate ne rédigea aucun écrit et il rendit par conséquent très difficile la tâche des historiens de la philosophie.
 

Les seules sources directes dont nous disposions sont constituées par les témoignages de Xénophon et de Platon, ainsi que par certains commentaires entendus par Aristote.

 

 

Il n'était pas rhéteur et n'enseigna donc pas la rhétorique. Il ne dispensait pas de cours contre rémunération et ne se rendit pas non plus de ville en ville, comme les sophistes. Il ne créa pas d'école, mais utilisa le dialogue. Il parvenait, par de simples questions, à faire discuter des gens issus de toutes les classes sociales sur des sujets religieux, éthiques, politiques et sociaux. Mais aussi, à les faire réfléchir sur leur vie, l'éducation de leurs enfants, la justice, la vertu... c'est-à-dire sur des sujets qui suscitent généralement l'intérêt de l'homme. Il faisait naître le dialogue en prétendant ne pas savoir et chercher à connaître ce qui est juste et ce qui est injuste, courageux et lâche, bon et mauvais, beau et laid.
Le simulacre d'ignorance utilisé par Socrate lors des discussions philosophiques fut appelé « ironie socratique ».

 

Il ne donnait jamais l'impression de vouloir inculquer quelque chose de précis, car il pensait que si l'homme apprend tout d'abord à se servir de son esprit, c'est-à-dire de sa réflexion logique, il peut ensuite penser et trouver la vérité par lui-même.
 

C'est pour cette raison qu'il n'offrait jamais à son interlocuteur des connaissances établies. Il lui suffisait de le submerger de questions afin qu'il arrive par lui-même à un savoir qui était enfoui en lui. Cette méthode utilisée par Socrate porte le nom de « maïeutique », c'està-dire l'art d'accoucher les esprits sans que l'interlocuteur en soit conscient, tout comme l'accoucheuse fait sortir l'enfant du ventre de sa mère.

Socrate

Procès et mort de Socrate

La Mort de Socrate, par Jacques-Louis David (1787).

La Mort de Socrate, par Jacques-Louis David (1787).


Comme nous l'avons mentionné plus haut, les destructeurs de Socrate étaient sans doute majoritaires. Ils pensaient qu'il était Sophiste et le méprisait pour son dédain et son refus des institutions religieuses et sociales. Ainsi, en 399 av. J.-C., trois citoyens athéniens (Méliton, Anytos et Lycon) le traînèrent devant les tribunaux sur l'accusation suivante:

 

« Socrate est coupable de corrompre la jeunesse et de ne pas vénérer les dieux de son pays, mais aussi d'introduire des divinités nouvelles ».
 

 

Le procès eut lieu en 399 av. J.-C.
Les disciples de Socrate avaient pris soin de faire assurer sa défense par un grand rhéteur, comme il en était d'usage à l'époque. C'est Lysias (célèbre rhéteur de l'époque), qui organisa son plaidoyer, conformément à toutes les règles de la rhétorique. Mais Socrate refusa de l'utiliser. Il décréta en effet qu'il avait lui-même préparé son plaidoyer toute sa vie durant, par ses actes, en agissant toujours avec loyauté.

 

Ainsi, la conscience tranquille, Socrate assura sa défense comme il l'entendait. Ce plaidoyer improvisé et sans figures de rhétoriques fut bien entendu parsemé de son habituelle ironie. Il déclara aux juges qu'il pensait qu'aucune peine ne devait lui être infligée et qu'il estimait au contraire que la cité avait pour devoir de l'accueillir au Prytanée, étant donné qu'il avait consacré sa vie à améliorer la condition de ses concitoyens.

 

Charles Alphonse Dufresnoy la Mort de Socrate

Le tribunal le jugea coupable et le condamna à mort, On ne peut comprendre cette sentence que si on la replace dans le contexte de l'époque. La fin catastrophique de la guerre du Péloponnèse ainsi que l'épisode amer de la tyrannie des Trente avaient engendré une atmosphère néfaste dans la cité d'Athènes. La peine ne fut pas exécutée aussitôt et Socrate passa par conséquent 30 jours en prison.
 

Durant cette période, nombre de ses disciples affluèrent dans les geôles, qui avaient revêtu l'aspect d'une école de philosophie.
Paisible et imperturbable, Socrate prodiguait à ses disciples ses derniers conseils. Il rejeta la proposition que lui fit son élève Criton de s'évader afin d'échapper à la mort. Il souhaitait en effet jusqu'à la fin de ses jours être fidèle aux principes de son enseignement et montrer par son exemple que « les citoyens doivent toujours respecter les lois de la cité ».
En mai 399 av. J.-C., il but donc la ciguë, paisible et serein, avec une résignation et une tranquillité d'esprit exceptionnelles, tout comme l'était la personnalité de ce grand philosophe et grand maître.

 

 

Socrate

 

LE « DEMON » DE SOCRATE


La voix intérieure du fameux « démon » de Socrate constitue l'un des plus grands mystères, qui entoure cet illustre personnage de l'Antiquité.
On assimile généralement cette voix à celle d'un commandement divin ou encore à celle de la conscience.
Socrate Indique à ce sujet:

 

« Mais peut-être paraîtra-t-il inconséquent que je me sois mêlé de donner à chacun de vous des avis en particulier, et que je n'aie jamais eu le courage de me trouver dans les assemblées du peuple, pour donner mes conseils à la république.

 

Ce qui m'en a empêché, Athéniens, c'est ce je ne sais quoi de divin et de démoniaque, dont vous m'avez si souvent entendu parler, et dont Mélitus, pour plaisanter, a fait un chef d'accusation contre moi. Ce phénomène extraordinaire s'est manifesté en moi dès mon enfance; c'est une voix qui ne se fait entendre que pour me détourner de ce que j'ai résolu, car jamais elle ne m'exhorte à rien entreprendre. »
(« Apologie », 31c-32a/1,22)

Socrate

Les  trois  passoires  de  Socrate

 

Quelqu'un arriva un jour, tout agité, auprès du sage Socrate :

- Écoute, Socrate, en tant qu'ami, je dois te raconter ...
- Arrête, As-tu passé ce que tu as à me dire à travers les trois passoires ?
- Trois passoires ?
- Oui, mon ami, trois passoires. La première est celle de la Vérité. As-tu examiné si tout ce que tu vas me raconter est vrai ?
- Non, je l'ai entendu raconter ...
- Bien, bien. Mais assurément, tu l'as fait passer à travers la deuxième passoire. C'est celle de la bonté. Est-ce que, même si ce n'est pas tout à fait vrai, ce que tu veux me raconter est au moins quelque chose de bon ?
- Non pas, au contraire ...
- Essayons donc de nous servir de la troisième passoire et demandons-nous s'il est utile de me raconter ce qui t'agite tant ...
- Utile, pas précisément ...
- Et bien, dit le sage, si ce que tu as à me dire n'est ni vrai, ni bon, ni utile, oublie-le et ne t'en soucie pas plus que moi.

 

Socrate

LE SOCRATE DE NIETZSCHE

 

« Socrate, pour l'avouer une bonne fois, m'est si proche que j'ai presque toujours un combat à livrer avec lui » : cette remarque rédigée par Nietzsche à l'époque des Considérations inactuelles, est propre à indiquer de manière synthétique quelles sont la spécificité et la complexité de sa relation à l'égard de Socrate.
 

Que Nietzsche se soit attaché à « livrer un combat » contre ce dernier est sans doute un point bien connu de sa pensée.
 

Dès La Naissance de la tragédie, Socrate apparaît comme son adversaire par excellence, dans la mesure où il est celui qui donne autorité, pour de nombreux siècles, à la raison contre l'instinct, au désir de vérité et à la science contre la reconnaissance de la nécessité de l'art et de l'illusion.

 

Socrate est le « type de l'homme théorique », dont « l'influence s'est étendue sur la postérité telle une ombre qui ne cesse de croître dans le crépuscule ».
 

Sans doute Nietzsche reconnaît-il que Socrate ne fait somme toute qu'incarner une tendance déjà à l'oeuvre au sein de la culture grecque, et qu'en un sens le « socratisme » précède la personne même de Socrate: « Le socratisme est plus ancien que Socrate ».
 

Mais ce dernier n'en est pas moins présenté comme celui par qui sonne le glas de la culture grecque tragique, et qui fait advenir les idéaux qui seront encore ceux de l'époque moderne:

« Ce fut Socrate qui découvrit le charme [...] de la cause et de l'effet, de la raison et de la conséquence : et nous autres modernes, nous sommes si bien habitués et entraînés par éducation à la nécessité de la logique que notre langue lui trouve un goût normal ».
 

Dans le même temps, Nietzsche caractérise Socrate comme le type de l'homme plébéien, qui s'oppose donc au caractère aristocratique des Grecs présocratiques

« Socrate est plébéien, il est inculte et n'a jamais rattrapé, par un travail d'autodidacte, les leçons perdues dans sa jeunesse » ; « Quant à sa provenance, Socrate appartenait au plus bas peuple : Socrate était la plèbe ».
 

Cette caractérisation ne doit pas seulement être entendue au sens, superficiel, d'une origine sociale ; il s'agit aussi et surtout de pointer par là le « fort penchant démocratique et démagogique » qui anime Socrate, et dont témoigne précisément la valeur qu'il accorde au savoir et à l'argumentation : sa philosophie « est pour tout le monde, et elle est populaire, car elle considère que la vertu peut être enseignée », donc que même le plus humble peut, grâce au savoir, se rendre égal au plus noble.
 

L'autorité accordée par Socrate à la dialectique serait en ce sens l'expression du ressentiment du plébéien à l'égard des plus nobles, le moyen d'engendrer un état d'égalité là où les Grecs avaient jusque-là privilégié la hiérarchie et le sentiment des distances d'homme à homme.
 

En tout ceci, il est manifeste que Socrate préfigure les idéaux « démocratiques » qui caractérisent l'époque moderne, et qui sont selon Nietzsche à la source de son caractère décadent.
 

Cette survalorisation du savoir, du rationnel, du logique, Nietzsche les interprète en effet également, dans le cadre d'une métaphorique médicale, comme autant de symptômes d'un état de maladie - et d'une maladie mortelle.
 

Vouloir nier les instincts au profit du seul grand jour de la raison, c'est en effet vouloir nier les conditions même de toute vie, c'est préférer s'en détourner parce que l'on est trop faible pour affronter ce qu'elle a de complexe, de labile, de violent parfois :
là où les natures les plus saines savent reconnaître la diversité pulsionnelle qui les constitue pour mieux s'en rendre maîtres en la hiérarchisant, celui qui prétend les ignorer s'abandonne quoi qu'il en ait à une « anarchie des instincts », à laquelle il prétend alors vainement opposer la force de sa seule raison

« Le fanatisme avec lequel toute la réflexion grecque se jette sur la rationalité trahit une situation d'urgence; on était en danger, on n'avait qu'un seul choix : périr ou - être rationnel jusqu'à l'absurdité ».
 

Pour cette raison, Nietzsche réinterprète constamment la mort de Socrate comme une forme de suicide masqué de la part d'un homme qui n'avait plus la force de supporter la vie, et qui devinait peut-être aussi que cette mort ne serait pas sans faire de lui une figure séduisante, prolongeant ainsi son autorité :
 

« il semble que Socrate lui-même, en toute lucidité et sans éprouver cette horreur naturelle face à la mort, ait fait en sorte qu'une sentence de mort, et non d'exil, fût prononcée contre lui [...]. Socrate mourant devint le nouvel idéal, encore jamais vu, des jeunes Grecs nobles ».
 

« les deux plus grands meurtres judiciaires de l'Histoire sont, pour parler sans détour, des suicides camouflés et bien camouflés.
Dans l'un et l'autre cas, quelqu'un voulait mourir, et laissa l'une et l'autre fois la main de l'injustice humaine lui plonger l'épée dans la poitrine » ; « les morts de martyrs [...] ont été un grand malheur dans l'Histoire : elles ont séduit... ».

 


 

 

Mais en quel sens comprendre alors cette « proximité » qu'évoque cependant Nietzsche, à l'égard de Socrate ?
 

Il faut apercevoir ici que si le type d'exigences et de valeurs mises en oeuvre par Socrate s'avère problématique, il n'en reste pas moins que

Socrate peut être considéré, dans le contexte historique et culturel qui fut le sien, comme un éminent créateur de valeurs, qui sut modifier radicalement, et durablement, le cours de l'histoire européenne : il peut être considéré en ce sens, ainsi que l'affirme La Naissance de la tragédie, comme « un tournant et un pivot » de l'« histoire universelle ».
 

Or Nietzsche ne se présente-t-il pas à son tour, dans la préface du même ouvrage, comme « le tournant et le pivot » de la culture allemande moderne, comme celui qui entend tenter de faire advenir, contre les valeurs et la culture de type socratique, da nouvelles valeurs ?
Et l'image et l'hypothèse centrales d'un « Socrate musicien » ne laissent-elles pas entendre que c'est en tant qu'homme d'abord soumis aux valeurs socratiques que le philosophe doit pourtant faire advenu ces nouvelles valeurs, dans la mesure justement où la science, poussée ses ultimes limites, doit nécessairement « se convertir en art ».

 

Paradoxalement, celui qui doit lutter contre le socratisme se doit en un sens d'être un autre, un nouveau Socrate, capable comme lui de renverser une culture ancienne au profit d'une culture nouvelle.

 

 

On remarque de fait en plusieurs textes que Nietzsche, présente parfois Socrate comme une sorte de reflet inversé du philosophe que lui-même entend être, reflet avec lequel il entretient dès lors un rapport pour ainsi dire mimétique : ainsi Socrate est-il à plusieurs reprises, en particulier à l'époque d'Humain, trop humain, caractérisé comme un héroïque « esprit libre », capable de se déprendre des valeurs de son temps et désireux de susciter l'inquiétude chez ses concitoyens - et qui pour cette raison même ne fut pas compris par ses contemporains qui, face à sa radicale étrangeté, n'eurent d'autre choix que de le mettre à mort.
 

L'exemple socratique semble alors incarner également le risque que se doit d'affronter tout penseur « inactuel », et ainsi sans doute, Nietzsche lui-même :

 

« les conditions nécessaires à la création du génie ne se sont pas améliorées en ces temps derniers. La répugnance qu'inspirent les hommes originaux a, tout au contraire, augmenté au point que Socrate n'aurait pas pu vivre chez nous et qu'en tout cas il n'aurait pas atteint l'âge de soixante-dix ans ».
 

Nietzsche rappelle en outre à plusieurs reprises que Socrate ne doit pas se voir réduit au Socrate de Platon, dont il dénonce le caractère caricatural, et auquel il préfère le portrait tracé par Xénophon dans ses Mémorables : portrait d'un Socrate plus soucieux des choses humaines et proches que d'un quelconque idéalisme, d'un Socrate davantage caractérisé par la légèreté et la gaieté bien plus que par aucun esprit de sérieux.
 

Nietzsche insiste enfin, particulièrement à partir de 1886, sur la subtilité et la complexité de la personne de Socrate : il se pourrait que ce « grand ironiste aux mille secrets » soit demeuré lucide quant à l'absence de valeur absolue de la raison, et à la nécessité d'en appeler toujours aux instincts :

« on doit suivre les instincts, mais persuader la raison de les assister en fournissant de bons motifs ».
 

Confronté à une situation déjà décadente de la culture grecque (car on l'a vu, le « socratisme est plus ancien que Socrate »), Socrate voulut se faire le médecin de celle-ci, en proposant un remède - la soumission des instincts à la raison - dont il sut pourtant reconnaître intimement la fondamentale insuffisance.
 

Si Socrate incarne la figure du philosophe à l'esprit libre, indépendant, courageux jusqu'à mettre en jeu sa propre vie, la figure aussi d'un philosophe-médecin soucieux de restaurer la santé d'une culture décadente, on comprend mieux en quoi Nietzsche peut se sentir « proche » de celui-ci.

 

Mais les remèdes socratiques n'ont fait que prolonger la maladie qu'il s'agissait de guérir : voilà pourquoi aussi Nietzsche se doit pourtant sans cesse de livrer un combat contre lui.

 

Source Dictionnaire Nietzsche sous la direction de Dorian Astor, article de Céline Denat.

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