Chronologie par François Ewald
1844. 15 octobre : naissance de Nietzsche à la cure de Rôcken, village près de Lützen en Saxe. Son père était pasteur. Son grand-père et son arrière-grand-père maternels avaient été pasteurs. Son père prénomma son fils Friedrich Wilhelm, car il était né le jour anniversaire de son souverain vénéré : Frédéric Guillaume IV.
1849. Le père de Nietzsche meurt à trente-six ans, quand il a lui-même cinq ans. Voici comment, dans Ecce Homo, Nietzsche évoque son père:
1849-1858. Nietzsche vit à Naumburg, ville à la limite de la Thuringe et de la Saxe, avec sa mère et sa sueur. A six ans, il entre à l'école communale. L'année suivante, il fréquente un institut privé, préparatoire au lycée. Il y reste de 1851 à 1854. En 1858, Nietzsche devient boursier à l'école de Pforta en Thuringe - à quelques kilomètres de Naumburg. Ecole célèbre pour sa tradition humaniste et luthérienne et par certains de ses anciens élèves : Klopstock, Fichte, Schlegel, Novalis. Sur cette période, Gilles Deleuze écrit dans son Nietzsche : « Il est l'enfant prodige ; on garde ses dissertations, ses essais de composition musicale.»
C'est le moment de souligner l'importance de la musique chez Nietzsche :
écrira-t-il à la fin de sa vie. Pendant toute sa période d'études et dans les premières années bâloises, Nietzsche compose toute une série d'oeuvres de plus ou moins grande envergure (pour piano ou pour orchestre, des lieders). Il est possible que Nietzsche ait pensé, un moment devenir musicien. L'oeuvre de Nietzsche est certainement incompréhensible si l'on oublie cette dimension. Dans Ecce Homo, Nietzsche commente Ainsi parlait Zarathoustra :
1864-1865. Nietzsche s'inscrit à l'Université de Bonn en théologie et en philologie. Selon la tradition, il se bat en duel, est blessé sur l'arête du nez et s'inscrit dans la corporation Franconia qu'il quitte au bout d'un an.
1865-1869. II suit à l'Université de Leipzig son professeur de philologie, Friedrich Ritschl. Il fonde, avec son professeur, une Association philologique. C'est à Leipzig qu'il découvre le Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer et L'Histoire du matérialisme de Friedrich Albert Lange. En 1867, Nietzsche fait son service militaire dans l'artillerie de campagne. Il doit l'interrompre sur blessure. En
1868, il reçoit le prix du concours de l'université pour un travail sur « Les sources de Diogène Laërce ». Le 8 novembre 1868, Nietzsche rencontre pour la première fois Wagner, qui séjournait alors à Leipzig. Ils s'entretiennent de musique et de Schopenhauer.
1869. Nietzsche est nommé professeur adjoint de philologie classique à Bâle. Comme il est de tradition dans cette ville, Nietzsche cumule ces fonctions avec l'enseignement du grec dans la troisième classe (la plus élevée) du paedagogium où enseignait Jacob Burckhardt. Nietzsche enseignera la philologie et le grec à Bâle jusqu'en 1879.
Les années bâloises sont essentiellement marquées par l'amitié avec Richard et Cosima Wagner qui résident alors à Tribschen, sur le lac des Quatre-Cantons. Wagner y terminait la composition de la Tétralogie. Commence alors une relation aussi intense qu'intime entre Nietzsche (qui a vingt-cinq ans), Wagner (qui en a cinquante-six), et Cosima (qui en a une trentaine). Nietzsche est dans la confidence de Wagner. Il travaille pour lui.
C'est dans ces circonstances que sera rédigé en 1872 La Naissance de la tragédie selon l'esprit de la musique dont Nietzsche dira dans Ecce Homo : « Les deux principales nouveautés de ce livre sont d'une part la compréhension du phénomène dionysien chez les Grecs : - il en donne la première psychologie, il y voit la racine unique de tout l'art grec. L'autre est la compréhension du socratisme : Socrate reconnu pour la première fois comme l'instrument de la décomposition de l'hellénisme, comme décadent type. La « rationalité contre l'instinct ». Il s'agit à la fois d'une conciliation du travail philologique et philosophique de Nietzsche, du « premier » livre de Nietzsche et d'une mise en scène de Wagner.
La relation, absolument décisive, de Nietzsche avec Wagner se détériorera à partir des années 1873-1874 (Nietzsche écrit en 1874 des Réflexions sur Richard Wagner, très critiques, mais non publiées de son vivant) jusqu'à la séparation définitive, qui connaît plusieurs étapes en 1876 en particulier, lors de l'inauguration de Bayreuth, Nietzsche ne supporte pas de constater qu'en réalité Wagner draine et rassemble tout ce qu'il peut haïr de l'Allemagne. Il lui faudra désormais s'affranchir de cette dépendance - ce sont les fameuses métamorphoses du début de Zarathoustra -, et se construire lui même. Mais la discussion avec Wagner ne cessera pas pour autant (un des derniers écrits de Nietzsche est Le Cas Wagner (1888). Et dans Ecce Homo, il écrira :
Je ne sais pas quelles expériences les autres ont faites avec Wagner : pour nous, notre ciel n'a jamais été traversé d'un seul nuage. »
1870. Nietzsche prend part comme infirmier volontaire à la guerre entre la France et l'Allemagne.
1873-1876. Nietzsche publie quatre Considérations inactuelles, dont il projetait une série beaucoup plus longue et, semble-t-il collective. Ecce Homo :
1878. Humain, trop humain. Un livre pour les esprits libres. Dans Ecce Homo, Nietzsche a longuement décrit les circonstances d'élaborationde ce livre, véritable instrument de libération, de prise de possession de lui-même « Humain, main, trop humain est le monument commémoratif d'une crise.
Il se proclame un livre pour les esprits libres : presque chaque phrase y exprime une victoire - par ce livre je me suis débarrassé de qui était incompatible avec ma nature. »
Victoire contre l'idéalisme, victoire contre Wagner et l'art allemand. Mais Nietzsche précise aussitôt qu'il s'agit moins d'un mouvement contre que pour lui-même :
Et Nietzsche précise ce qui annonce et éclaire la suite
Opinions et sentences mêlées et Le Voyageur et son ombre.
1879. Nietzsche, qui souffre de terribles maux de tête, de douleurs aux yeux, de nausées et de vomissements, quitte, avec une petite pension, l'université de Bâle. Commence alors une nouvelle existence - la troisième si l'on peut dire, après les années de formation et les années d'enseignement -, l'existence ambulante, errante, nomade du solitaire. Cherchant les climats qui seraient les plus favorables à sa santé, il partagera désormais son temps entre la Riviera italienne ou française en hiver, Venise au printemps et l'Engadine l'été.
C'est le moment de souligner un autre des thèmes les plus fondamentaux de l'existence de Nietzsche : la maladie. Il ne s'agit pas encore de l'effondrement de 1889, mais de constater que Nietzsche a vécu pratiquement toute sa vie, depuis son enfance, malade ou dans la crainte de la maladie. Dans Ecce Homo, Nietzsche consacre à cette question le chapitre intitulé : « Pourquoi je suis si avisé ». Il développe ses théories du régime alimentaire, de l'importance du climat et de délassements. Deleuze écrira : « Dans la maladie, Nietzsche voit un point de vue, sur la santé; et dans la santé, un point de vue sur la maladie... La maladie comme évaluation de la santé, les moments de santé comme évaluation de la maladie : tel est le "renversement", le "déplacement des perspectives", où Nietzsche voit l'essentiel de sa méthode, et de sa vocation pour une transmutation des valeurs. »
Jusqu'en 1889. L'activité intellectuelle de Nietzsche est considérable. Nietzsche ne cesse d'écrire et de publier. Chaque année ou presque est marquée par un nouveau livre qui, à chaque fois, est comme une nouvelle torsion de Nietzsche sur lui-même. Deux événements majeurs marquent le début des années 1880: août 1881, la révélation de l'Eternel Retour lors d'une promenade sur les bords du lac de Silva-Plana; 1882, la rencontre avec Lou Andréas-Salomé dont Nietzsche s'éprend et qu'il demandera, vainement, en mariage.
1881. Aurore. Pensées sur la morale conçue comme préjugé. Nietzsche écrit dans Ecce Homo :
Il est tant d'aurores qui n'ont pas encore lui...
1882. Le Gai savoir (« La Gaya scienza »). « Les Chants du Prince Hors-la-Loi, composés en grande partie en Sicile, rappellent explicitement la notion provençale de "gaya scienza", cette unité du troubadour, du chevalier et de l'esprit fort qui distingue si nettement de toutes les cultures équivoques cette admirable culture provençale de haute époque » (Ecce Homo).
1883. Paraissent les deux premières parties du grand livre de Nietzsche, celui qui procède de la vision de l'Eternel Retour : Ainsi parlait Zarathoustra. Le livre « fut terminé très précisément à l'heure sainte où Richard Wagner mourait à Venise » (Ecce Homo). En 1884 et 1885, Nietzsche publie les troisième et quatrième parties de Zarathoustra.
1886. Par-delà le bien et le mal. Prélude à une philosophie de l'avenir.
1887. La Généalogie de la morale, un écrit polémique.
1888. Nietzsche publie quatre recueils d'aphorismes - Le Crépuscule des idoles. Comment philosopher à coups de marteau.
- Le Cas Wagner.
- L'Antéchrist et Ecce Homo, sorte d'acquiescement de Nietzsche à lui-même, au jour anniversaire de sa quarante-quatrième année :
1889 début janvier, Nietzsche, qui réside alors à Turin, a une crise plus violente que les autres. Le « crucifié » embrasse un cheval dans la rue. C'est la crise de démence dont Nietzsche ne sortira plus. Son ami Overbeck vient le chercher pour le faire hospitaliser à Bâle, où sa mère viendra le chercher. Il est alors hospitalisé à Iéna, avec un diagnostic de paralysie générale (conséquence d'une éventuelle syphilis) puis vivra, reclus sans jamais reprendre conscience, chez sa mère jusqu'à la mort de celle-ci. Sa soeur Elisabeth le prendra en charge à Weimar, où il mourut en 1900.